Un dollar sur trois géré
aux Etats-Unis est placé
au sein de stratégies
d’investissement
responsable, alors que le
pays est par ailleurs le plus
gros émetteur d’obligations
vertes au monde. Pourtant,
les opportunités de
croissance du marché sont
encore très nombreuses.
Selon de premiers signes,
un élan significatif
pourrait être fourni par le
gouvernement de Joe Biden.
En ce qui concerne le changement
climatique, les intentions du
gouvernement de Joe Biden peuvent
difficilement être plus claires :
quelques heures à peine après
son entrée en fonction, le nouveau
Président a annoncé la réintégration
des Etats-Unis dans l’Accord de
Paris.1 Depuis, le pays a dévoilé des
objectifs en ligne avec l’Article 4 de
l’Accord de Paris en vue de réduire ses
émissions et de les porter à 50%-52%
en dessous des niveaux de 2005 d’ici
2030 et d’atteindre la carbo-neutralité
en 2050.2
Une dynamique semblable s’observe
dans le domaine de l’investissement
responsable. Brian Deese, nommé
à la tête du Conseil économique
national par Joe Biden, est un expert de l’investissement durable. Par
ailleurs, une position de responsable
des questions climatiques a été
créée au sein du Conseil de sécurité
national. Surtout, le nouveau Président
commence à revenir sur plusieurs
réglementations critiques lancées sous
Donald Trump dans le but de dissuader
les investissements basés sur des
critères environnementaux, sociaux et
de gouvernance (ESG)
Cette année, le ministère du Travail
américain a ainsi annoncé qu’il
n’appliquerait pas l’obligation, pour
les fournisseurs de régimes de
retraite comme les plans 401(k), de
prendre et documenter des mesures
confirmant que les rendements
financiers n’étaient pas compromis
lors de l’affectation de capital à des
investissements axés sur des critères
environnementaux, sociaux et de
gouvernance.3 De son côté, après
s’être prononcée en 2020 contre
l’exigence de certaines informations
relatives à l’ESG, la SEC (Securities
and Exchange Commission) prépare
désormais un cadre de réglementation
du reporting ESG.4
Malgré les obstacles à l’investissement
ESG posés pendant le mandat de
Donald Trump, le secteur a toutes
les chances de se développer. Début
2020, le total des actifs sous gestion
domiciliés aux Etats-Unis et placés
dans des stratégies d’investissement
durable5 s’élevait à 17.100 milliards
USD, contre 12.000 milliards USD
début 2018, et représentait un tiers de
l’ensemble des encours gérés par des
professionnels.6
Une grande part de ces actifs sont
ceux d’investisseurs institutionnels
(6.200 milliards USD fin 2020), dont
plus de la moitié investis par des fonds
de pension publics.7
Par ailleurs, les fonds durables
américains continuent d’attirer des
volumes de souscriptions record.
En 2020, 51,1 milliards USD ont été
placés dans des fonds ouverts et ETF
durables, soit plus de deux fois plus
qu’en 2019 et quasiment 10 fois plus
qu’en 2018, années qui avaient déjà
recensé des souscriptions record.8
D’après des recherches de Morningstar,
les investissements en fonds durables
ont représenté 24% du total des
souscriptions en fonds américains
d’actions et d’obligations en 2020.
Les Etats-Unis possèdent également
un marché de la finance verte
en pleine effervescence. Le pays
domine le palmarès mondial des
émissions d’obligations vertes, avec
51,1 milliards USD de titres émis
en 2020, selon la Climate Bonds
Initiative.9 L’Allemagne et la France,
respectivement deuxième et troisième
du classement avec 40,2 milliards USD
et 32,1 milliards USD de titres émis,10
disposent toutefois de marchés
d’obligations vertes plus développés
par rapport à la taille de leurs
économies, ce qui tient en partie au fait que les deux pays ont réalisé des
émissions de référence d’emprunts
souverains verts.
Quoi qu’il en soit, en volume total de
dette émise, les Etats-Unis demeurent
le plus gros marché d’obligations
vertes, sociales et durables, dopé par
les émissions à répétition d’obligations
vertes et sociales de Fannie Mae,
vaste organisme de garantie de prêts
immobiliers. Fannie Mae est en effet
le plus gros émetteur vert américain,
avec à son actif 4.200 transactions
totalisant 94 milliards USD à la fin du
1er trimestre 2021.11
Les obligations vertes ont un important
rôle à jouer dans la transition des
Etats-Unis vers une économie plus
verte. A l’échelle planétaire, le principal
usage des produits d’obligations
vertes en 2020 a concerné le secteur
énergétique, suivi des bâtiments
sobres en carbone et des transports
moins polluants. La situation est
un peu différente aux Etats-Unis, où
depuis la création de ce marché, les
produits des obligations vertes ont
principalement financé le secteur
du bâtiment, et, dans une moindre
mesure, les énergies renouvelables.
L’économie américaine demeure
pourtant largement dépendante
des énergies fossiles. L’an passé,
les Etats-Unis ont été le plus gros
producteur mondial de pétrole et de
gaz naturel, tandis qu’en 2019, 82%
de la production d’énergie primaire
du pays ont été générés à partir
d’énergies fossiles, pourcentage qui
s’élevait à 86% en 1990.12
Mais le gouvernement de Joe Biden
s’est fixé d’ambitieux objectifs pour
changer la donne. Alors qu’environ les deux tiers de la production
d’électricité aux Etats-Unis proviennent
actuellement d’énergies fossiles, il est
prévu, dans le cadre de la politique
américaine de décarbonation, que
100% de l’électricité produite dégage
un niveau d’émissions nettes neutres
d’ici 2035. De quoi fournir un élan de
plus à la croissance des obligations
vertes américaines.
Il ne fait aucun doute que ce marché
possède un énorme potentiel
d’expansion. Malgré une taille déjà
importante, les obligations vertes,
sociales et durables ne représentent
qu’une petite portion de l’encours
global de dette : aux Etats-Unis,
seulement 0,6% sur les 46.000
milliards USD d’obligations en
circulation.13
Jusqu’à présent, Apple a réalisé la
plus grosse émission d’obligations
vertes par une entreprise non
financière en 2016, avec 1,5 milliard
USD, qui ont servi à financer des
projets d’énergies renouvelables et
d’économies d’eau et d’énergie. Des
entreprises comme Apple, Microsoft,
Berkshire Hathaway et Visa sont en
effet considérées comme des leaders
de la durabilité qui ont contribué à
hisser les Etats-Unis au 13e rang
mondial sur 48, selon le dernier indice
Morningstar Sustainability.14 L’Europe
continue néanmoins de dominer ce
classement : les Pays-Bas, la France
et la Finlande occupent les trois
premières places du classement de la
durabilité à l’initiative des entreprises.
L’Union européenne (UE) a de toute
évidence progressé plus vite que les
Etats-Unis en matière d’investissement
durable, en partie grâce au Pacte vert,
qui vise la neutralité climat en Europe
d’ici 2050, et aux règles de Taxonomie
de l’UE, exigeant que les sociétés
de services financiers publient des
informations renseignant sur la
durabilité de leurs produits sur le plan
environnemental.
Même s’ils sont bien placés dans le
domaine des obligations vertes et de
l’investissement durable, les EtatsUnis doivent maintenant rattraper leur retard. De la suppression des
règles anti-ESG au plan climatique
de 2.000 milliards USD déployé
par le gouvernement, les premiers
signaux émis par l’équipe de Joe
Biden en matière de finance verte et
d’investissement responsable sont
résolument positifs.